Uit: Emile Zola, La Terre (ca. 1885).
C'était Grosbois, l'arpenteur juré, un paysan de Magnolles, petit village
voisin. Sa science de l'écriture et de la lecture l'avait perdu. Appelé d'Orgères
A Beaugency pour l'arpentage des terres, il laissait sa femme conduire son
propre bien, prenant dans ses continuelles courses de telles habitudes d'ivrog-
nerie, qu'il ne dessoulait plus. Trés gros, trés gaillard pour ses cinquante
ans, il avait une large face rouge, toute fleurie de bourgeons violatreset,
malgré l'heure matinale, il était, ce jour-la, abominablement gris, d'une
noce faite la veille chez des vignerons de Montigny, a la suite d'un partage
entre héritiers. Mais cela n'importait pas, plus il était ivre, et plus il voyait
clair: jamais une erreur de mesure, jamais une addition fausse! On l'écou-
tait et on l'honorait, car il avait une réputation de grande malignité.
Hein nous y sommes, dit-il. Allons-y!
Un gamin de douze ans, sale et dépenaillé, le suivait, portant la chaïne
sous un bras, le pied et les jalons sur une épaule, et balaneant, de la main
restée libre, l'équerre, dans un vieil étui de carton crevé.
Voila, reprit Grosbois,_ en sortant de sa poche un carnet graisseux,
j'ai levé déja un petit plan exact de chaque parcelle, ainsi que vous me
l'aviez demandé, père Fouan. A cette heure, il s'agit de diviser le tout en
trois lots; et ?a, mes enfants, nous allons le faire ensemble... Hein? dites-
moi un peu comment vous entendez la chose.
Le jour avait grandi, un vent glacé poussait dans le ciel pale des vols
continus de gros muages; et la Beauce, flagellée, s'étendait, d'une tristesse
morne. Aucun d'eux, du reste, ne semblait sentir ce souffle du large, gonflant
les blouses, menafant d'emporter les chapeaux. Les cinq, endimanchés
pour la gravité de la circonstance, ne parlaient plus. Au bord de ce champ,
au milieu de l'étendue sans bornes, ils avaient la face rêveuse et figée, la
songerie des matelots, qui vivent seuls, par les grands espaces. Cette Beauce
plate, fertile, d'une culture aisée, mais demandant un effort continu, a fait
le Beauceron froid et réfléchi, n'ayant d'autre passion que la "terre.
Wordt vervolgd
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